dimanche 16 octobre 2011

- Cinéma et société



Invention technique au début du XX ème siècle, le cinéma est un art contemporain ayant une écriture et un mode de création propres. De cette double situation d’art et de marchandise, naissent de multiples problèmes qui marquent le vaste champ des films que leur distribution ou leur réception par le public.
D’abord influencé par le théâtre et le cirque, le cinéma a, au fil de son histoire, à son tour influencé la littérature, l’art contemporain, mais aussi le langage publicitaire. Au-delà de l’influence des techniques et du langage cinématographique, le cinéma a aussi, à sa mesure, remodelé les usages et l’imaginaire de nos sociétés.
Au cours de la première moitié du XXe siècle, en tant qu’art populaire, le cinéma a pris une importance croissante dans la société. Certains, lui attribuant une capacité à influencer les spectateurs, ont alors appelé à un contrôle de la création (par le biais de la censure). D’autres, lui attribuant cette même capacité à convaincre, y ont vu un remarquable outil de propagande. Plusieurs lobbys et États ont alors tenté d’en tirer profit.
Impact politique et social
Première industrie culturelle du vingtième siècle, parce qu’il fait plus appel à l’émotion des spectateurs qu’à leur réflexion, le cinéma a intéressé, dès ses débuts, les industriels de la propagande. C’était, selon eux, un remarquable outil pour toucher rapidement d’importantes populations, y compris illettrées. Le cinéma devient alors rapidement l’objet de tensions contradictoires. Aux États-Unis, le film Naissance d’une nation (The Birth of A Nation, 1915), réalisé par DW Griffith, présentant le Ku Klux Klan sous un jour favorable pousse la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) à tenter d’en interdire la diffusion. Une réflexion est alors initiée sur la notion de censure publique.
Le pouvoir soviétique, à la suite de Lénine (avec sa phrase célèbre : « Le cinéma est pour nous, de tous les arts, le plus important ») développe un cinéma d’État, à la fois bien financé et en butte à la censure. Paradoxalement, ce cinéma d’État donnera naissance aux innovations de l’avant-garde soviétique, et des cinéastes comme Sergueï Eisenstein, Vsevolod Poudovkine, Alexandre Dovjenko et Dziga Vertov. Les relations entre ces grands créateurs et le pouvoir soviétique gardera cependant toujours un caractère d’ambiguïté. En Allemagne, notamment au travers de Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens, 1935), la réalisatrice Leni Riefenstahl met son talent au service du régime nazi.
Aux États-Unis, durant la première moitié du XIXe siècle, un code a été rédigé par le sénateur William Hays, sous le nom de Code Hays. Ce code, qui fut développé par les studios américains eux-mêmes, pour ne pas être censuré par la suite par un organisme extérieur. Ce code prévoyait de traiter les sujets sensibles avec prudence, comme le viol, la pendaison, la prostitution ou la religion. En France, officiellement, la censure a frappé relativement peu de films, surtout durant la seconde moitié du XXe siècle : Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1957) de Stanley Kubrick, Le Franc-tireur (1972) de Jean-Max Causse, 1974, Une partie de campagne (1974) de Raymond Depardon, ou la quasi-totalité de la filmographie de René Vautier. On suppose que Les Sentiers de la gloire et Le Franc-tireur ont été censurés à la demande des anciens combattants.
En ce début de XXIe siècle, censure et propagande ne semblent pas avoir disparu du paysage cinématographique. En Iran, par exemple, les réalisateurs confrontés à la censure ont longtemps privilégié les films mettant en scène des enfants. Cette « ruse » leur permettait à la fois de prétendre porter un regard naïf sur la société et d’éviter de filmer les visages de femmes adultes. Une partie de la création cinématographique contemporaine chinoise est, elle, parcourue d’une volonté de relecture hagiographique de l’histoire du pays. Certains ont vu dans le film Hero (Ying xiong, 2002), réalisé par Zhang Yimou, une justification de la politique centralisatrice menée par Pékin aujourd’hui.
Dans les autres pays démocratiques, censure et propagande sont également présentes, mais de manière plus diffuse. Noam Chomsky précise ainsi que « La propagande est à la démocratie, ce que la violence est à l’état totalitaire ». De fait, selon Sébastien Roffat, notamment auteur de Animation et propagande, on ne trouve pas moins de propagande (c’est-à-dire de volonté de promouvoir des idées et des valeurs) dans les films d’animation de Walt Disney que dans le film de Leni Riefenstahl, Le Triomphe de la volonté, pourtant souvent cité comme un modèle de cinéma de propagande.
Dans les pays démocratiques, plus que les États, ce sont les différents lobbies moraux ou religieux et surtout la dictature de l’audimat qui sont à l’origine de la censure. Au cours du XXe siècle, les autorités religieuses (comme par exemple l’Église catholique) se sont régulièrement élevées contre des films heurtant de front leurs valeurs ou leurs discours. C’est notamment le cas de La Dolce Vita (1960), de Federico Fellini, de Viridiana (1961), film de Luis Buñuel, de La Dernière tentation du Christ (The Last Temptation of Christ, 1988), de Martin Scorsese ou de almohager (L’émigré – 1994) de Youssef Chahine.
Mais au-delà de cette censure d’État, relativement rare et frappant les films, une fois ceux-ci achevés, se développe aujourd’hui une censure au niveau des projets de films. Ce sont alors les commissions du film et surtout les télévisions qui choisissent quels projets doivent être menés à terme. Indirectement, le cinéma passe ainsi de la censure d’État à la censure fixée par l’audimat.
Ce constat de dépendance de la filière cinématographique envers la télévision est surtout valable en France et au Royaume-Uni. Le cinéma américain, mieux financé que le cinéma français, est ainsi moins dépendant de l’industrie télévisuelle, ce qui n’empêche pas une influence d’ordre artistique, notamment de la part de séries telles que 24 heures chrono.
Qu'il naisse de l'esprit d'artistes démiurges ou de producteurs avides, le cinéma est, plus largement, le fruit d'une société ; une société qu'il reproduit, ou plutôt qu'il recrée, réinvente, sur l'écran. Du pur produit commercial à la véritable oeuvre d'art, les films sont autant de représentations du monde qui évoluent en fonction des techniques, du mode de production, mais aussi des moeurs, des nations, des formes de gouvernement, de la censure, etc...
Le film, révélateur social
Dès son origine, le cinéma fut un art dont les ressources sont “prodigieusement illimitées”. D’une manière générale, l’art trouve sa raison d’être sur un plan psycho-sociologique. L’oeuvre d’art est nécessaire à l’homme ; c’est une valeur médiatrice entre l’homme et le monde. En abordant le cinéma de ce point de vue, on est appelé à soulever des questions propres à la représentation qui, elle, reste avant tout, non en tant qu’imitation du réel, mais révélation de ce dernier. Faut-il insister sur le fait que l’art, en tant que valeur médiatrice, reste indispensable à la société ?
Pendant longtemps, le cinéma était considéré comme une sorte d’attraction foraine et les images qui bougeaient étaient imputées à la machine spéciale au moyen de laquelle elles sont obtenues. Erigé en art par le fondateur de la théorie du cinéma, Ricciotti Canudo, le cinéma se situe entre les arts de l’espace (architecture, sculpture, peinture) et les arts du temps (musique, danse, poésie). Le septième art appartient aux deux ordres. Plus perceptif que les autres moyens d’expression, c’est le seul art qui se présente comme la synthèse tous les autres arts. Mais le cinéma, en tant qu’art, ne peut subsister que par l’aspect industriel. Autrement dit, il ne serait pas viable.
Pour l’approche sociologique, le film est un révélateur social. Révélateur de la mentalité grâce à sa cohérence interne qui redistribue et resignifie tous les éléments. C’est pour cette raison qu’il est important de prendre en compte la cohérence interne d’un film car elle permet d’en appréhender la fonction sociale et idéologique. Le film qui se donne à voir n’est pas assimilable à une image photographique, il se présente comme un enchaînement de photographies dont la position de chacune d’entre elles dans la chaîne filmique donne lieu à une certaine lecture, davantage orientée par les mouvements de la caméra, le montage, les dialogues et la mise en scène. Produit culturel, le film entretient un réseau de rapports très étroits avec ses auteurs d’une part et le public (potentiel) auquel il s’adresse d’autre part. En fonction de ces deux relations il s’attache à l’imaginaire du réalisateur et de la société et par là déborde par son contenu. Défini comme objet culturel, le film ici n’est pas considéré d’un point de vue sémiologique. Il ne s’agit pas non plus d’esthétique ou d’histoire de cinéma (Ferro, 1977, 103).

Moulay Driss Jaïdi

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